La pointe de la Dogane libanaise

Article : La pointe de la Dogane libanaise
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4 juillet 2023

La pointe de la Dogane libanaise

J’ai beau m’adapter, pratiquer le détachement, il me manque ce bout de Méditerranée devant lequel je m’installais tous les matins ou presque, à la pointe de la plage. Comme si c’était la pointe de la Dogane à Venise. Je me plaisais à m’imaginer sur cette pointe, contempler l’horizon… Ce qui m’a fait tenir toutes ces années au Liban, ce sont assurément ces matins-là sur ma pointe de la Dogane, embrassée par la grande bleue. Oui la vie est faite de renoncement mais aussi de projets, littéralement. La Grande bleue me permettait de me projeter ; avec ses deux rochers en face et un peu plus loin, La Grotte aux pigeons ; des ancres. Jusqu’à ce que ce que tout se délite…

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Je n’ai plus accès à la mer. Elle coûte 1000 USD l’année ; le club a encore renchéri ses prix alors qu’ils ont de toute façon toujours été en dollars. Il a limité les options d’abonnement et supprimé les différentes formules d’accès qui permettaient une certaine flexibilité ; au lieu de les maintenir… au moins avec la crise.

Ce n’est pas non plus que le bleu de cette plage y est transparent. Je me baignais même dans une mer sale pour me renouveler, pour me laisser envelopper, pour savourer mon être féminin, aquatique, pour voyager ; quand le voyage nous était devenu interdit après que les banques nous avaient tous pris. Je me faisais sans cesse piquer, par la saleté souvent invisible, qui clairement cependant attaquait ma peau ; mais je retournais me baigner pour me sentir encore humaine, fluide, au milieu de cette violence qui nous frappait. Maintenant je n’ai même plus accès à cette contenance, de la fluidité, de l’humanité.

C’est cela la tiers-mondisation : quelques-uns qui mettent la main sur les biens de tous ; qui se sont octroyés à eux seuls, le droit à la mer, à l’air… nos éléments naturels ! L’air, l’eau. Ils nous privent du naturel, de notre droit naturel, de notre dignité naturelle ; c’est cela l’asphyxie. Alors je rêve de partir là où j’aurais accès au moins à elle, la grande bleue, sans devoir payer et à un air qui n’infeste pas mes narines, mes poumons et la dignité humaine.

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