Beyrouth : des sacs de plage et des bouteilles

Article : Beyrouth : des sacs de plage et des bouteilles
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11 octobre 2022

Beyrouth : des sacs de plage et des bouteilles

La violence est salissante, souillante. Je débarrasse les lieux qui me salissent tant ils portent les traces de la violence, de ceux qui sont sauvagement entrés chez moi par effraction, qui ont pris le temps de scier la porte d’entrée, de la briser, de tout jeter au sol, de tout renverser, disperser: vêtements, lingerie, papiers, feuilles, documents,etc.

 La porte sciée, brisée, deux jours de suite, sans que personne ne réagisse ; surtout pas la police, qui refuse de faire un procès-verbal, les deux jours, sous prétexte que les magistrats sont en grève. La sinistre absence de l’Etat de droit fait le terreau de la loi de la jungle à laquelle est livré le pays, notamment ceux qui n’y sont pas protégés par quelque fortune ou affiliation politique.

Cette entreprise d’au revoir qu’est le départ et les rangements d’un lieu qui un jour fut ou aurait pu être un lieu de vie, met un sourire triste et tendre tout à la fois sur mon âme blessée par la violence inouïe de ces dernières années. Les sacs de plage sur lesquels je tombe dans mon grenier et les bouteilles de vin dans la cuisine m’arrachent des restes de sourires et de foi. Sac en paille et bouteilles, rappels symboliques d’une vie douce, conviviale. D’une vie où l’on recevait, où les amis, les amours se présentaient avec une bouteille de vin ou de champagne, pour une soirée fluide en perspective. Des appellations d’origine contrôlée. Nous avions alors le luxe des AOC. Je m’étonne qu’il y ait encore tant de belles bouteilles que je n’ai pas ouvertes. Le vin a attendu ; peut-être ces bouteilles ne se sont –elles pas abimées dans l’attente. Elles ne sont pas humaines elles ; elles sont de verre. L’attente pour les humains que nous sommes, abime. L’attente de l’Etat de droit, l’attente de l’air pour respirer, l’attente du droit à la vie digne. A la vue de ces bouteilles promesse, la joie me revient quelques minutes : on boira encore ces bouteilles me dis-je. Mais une fois que je les emporte là où je peux les déposer, là où je n’habite pas réellement puisque je ne peux m’y habiter, me déployer, ma joie tombe. Là où je les cache de la lumière, pas de place au fluide ; seulement au plomb. Pas de place au breuvage des dieux. Baal a pris le dessus, doublement, puisque même ceux qui par le passé, mettaient celui-ci à sa juste place et ne lui accordaient pas une place importante dans leur échelle de valeurs, se laissent dévorer ; hantés par la peur du lendemain. Baal a vaincu Dionysos, tuant la joie au passage.

Beyrouth, crédit Hans van Reenen, via Flickr CC

Le sac de plage en paille avec ses couleurs rayures rose, vert et jaune me rappelle cette dernière. Un cadeau de mon père ; ce grand amoureux de la mer ;  un sac lumineux comme lui, avant qu’il ne soit emporté du fait de la négligence au sein de l’hôpital, de l’incompétence et de l’absence d’éthique, nourries par l’impunité et l’arrogance d’une classe intouchable de dits « soignants »  d’une institution « établie », à l’image de la classe politique « établie ». Des castes qui ontinuent à sévir parce qu’impunies. Nombreux semblent ceux qui comme mon père , périssent , victimes d’erreurs et de négligence… Telle mère qui me raconte que son fils est mort dans le même hôpital à cause des médicaments qu’on lui a donné et non de sa maladie ; telle amie qui me raconte que son père, médecin lui-même est mort à cause des tubes mal mis et infectés ; toujours le même grand hôpital. Et nul ne parle. Nul n’a plus la force de s’exprimer, de revendiquer… le droit à la dignité, y compris quand il s’agit de leur santé, du B A ba. Nous semblons avoir perdu notre poigne devant le rouleau compresseur de ce que l’ambassadrice de France a un jour appelé « le principe du réel ». Mais le nôtre de réel est plutôt de l’ordre du surréel, Madame. Alors, oui devant le principe du surréel, peut-être est –il normal de perdre la boussole.

Le sac de plage est un peu déchiré. Je le ferais réparer. On ne peut plus acheter de tels sacs  avec la dévaluation; et puis surtout c’était un cadeau de mon père. Tout comme un autre sac de plage et toutes les cartes de vœux que je retrouve et qui me serrent la gorge. Les cartes qui restent, les preuves d’un amour, d’un lien, au-delà du désert de l’absence sur fond de violence. Plein de cartes écrites à la main par mon père, pour mon anniversaire, pour Noël, d’année en année avec les mêmes mots d’amour tout le temps. Plus personne ne prend la peine des cartes  – on ne retrouve pas un watsapp truffé d’émoticons standard des années plus tard, en rangeant, comme on retrouve des cartes choisies avec soin par le destinateur.

Sac de plage en paille au mépris de la réalité glauque du dehors que l’on nous impose. Au mépris de ces politiques et banquiers repus et corrompus: des hommes qui prêtent serment, vénéneux comme des serpents, des responsables irresponsables  auxquels nul ne réclame plus son dû. Ils passaient l’autre soir le mépris à l’Institut Français ; j’ai voulu revoir la blondeur de BB et ses courbes ; la villa Malaparte, Capri et le soleil de l’Italie, au mépris de la noirceur des rues de Beyrouth et des obscurantistes modernes. De ses rapaces, qui, se sachant impunis réitèrent. Le temps de l’Etat de droit viendra-t-il ?

Ces bouteilles de vin deviendront peut-être les raisins de la colère à force d’attendre, je porterai cependant dans mon cœur les mots d’amour de mon père, comme catalyseur de mon périple imposé. On ne vit pas d’amour et d’eau fraiche ; non, les temps actuels le confirme ; la loi de la jungle ne se conjugue pas avec l’amour.  Mais on continue par amour.

Où poser le sac de paille : Tyr, Saida, le Nord ? Le sac de plage aime se poser et se balader. Il est fait pour ; le prix de l’essence le tient prisonnier. L’espace lui est proscrit.

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Commentaires

Marina Tem
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Très beau billet!! On y voit votre grande nostalgie d'un Liban moins sombre, et votre espoir pour un avenir glorieux,
Gardez votre révolte, nourrissez là de votre amour pour votre terre...bafouée. contre les vénales et les mesquins il faut une résistance sincère ! Les bouteilles-promesses seront là comme catalyseur de votre détermination à ne jamais fléchir !

Nicole Hamouche
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Merci beaucoup pour votre message qui me va droit au coeur