Liban : un peu plus de blond sur fond de noir

Article : Liban : un peu plus de blond sur fond de noir
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24 janvier 2022

Liban : un peu plus de blond sur fond de noir

« J’aimerais déambuler dans la nuit », lui dit une amie écrivaine qui vivait en France, et qui venait à Beyrouth pour quelques jours seulement pour le prix Goncourt de l’Orient. « Déambuler dans la nuit, comme dans les poèmes de Nadia Tuéni, tu veux dire ?? Dans la nuit foisonnante ? Dans la nuit riche ? Dans la nuit porteuse ? Mais Salma, mon amie, nul ne déambule plus dans la nuit de Beyrouth.  La nuit ici est sans lumière, sans courant ; des voleurs y rodent, des voleurs de vie…de nuit comme de jour d’ailleurs. Ils nous ont tout pris ».

Déambuler dans la nuit, c’est rêver, se laisser aller. Ici, nous n’avons plus le droit de rêver, de lâcher prise. Ici, on nous lynche en  permanence. Déambuler dans la nuit, c’est lâcher les défenses qui se tiennent debout, froides, masquées, le jour. Tenir le jour aux yeux du monde, aux yeux des joueurs, petits, minables, mécaniques. La nuit, la mécanique se démonte, les derviches tournent, les hommes boivent, les femmes se lâchent. Parce que les hommes se lâchent tout le temps ici; les hommes se lâchent le jour, la nuit. Pas les femmes. Nous n’avons droit qu’à la nuit ; quand personne ne voit ; quand personne ne se souvient. L’obscurité te permet de briller. Déambule dans la nuit. Lève-toi la nuit, malgré l’extinction des feux, des feux de Beyrouth, des feux des humains. Laisse ton brasier enflammer la nuit, enflammer l’hôpital, enflammer le pays brûlé. Un peu plus de noir sur fond de blond. Pourquoi pas ? Ça serait même plus joli que leur nuit noire. Déambule dans l’hôpital et enflamme-le. Brûle-le comme ils ont immolé ta mémoire, ta chair, ton père. Brûle ton feu dans la nuit du Liban ; elle t’a tout pris de toutes les façons. Seuls les hommes seuls sont élégants dit la poétesse ; ou quelque chose du genre. L’élégance des hommes seuls dans la nuit. Hommes, femmes ; dans la nuit, il n’y a plus de genre, il n’y a plus de sexe. La nuit du Liban a englouti le sexe : le féminin, le masculin ne sont plus que des animaux, des insectes écrasés par les bottes lourdes des hommes en mal de puissance, des hommes en mal d’eux-mêmes. Des hommes sans noms.

Alors, en pleine nuit, Maria décide de partir pour de vrai. Non pas partir comme on part dans la nuit, dans sa tête ou dans les draps. Partir dans un avion comme on part pour de vrai, s’envoler, s’arracher, oui, c’est le mot ; puisque l’arrachement est à la mesure de la vérité du pas. Grand écart en l’occurrence. Elle qui danse, elle devra faire ce grandiose pas, comme quand ses jambes s’étiraient pour prendre tout l’espace de la scène, de là à là ; de là à là-bas. Comme quand elle était encore jeune, encore en étirement, en tension sur les pointes, avec les lacets des ballerines roses brillantes qui la tenaient autour de la cheville mais qui s’élevaient en spirales. Monter en spirales, se détacher en spirales de la nuit du Liban, de la nuit de cet Orient devenu moyen, très moyen. De cet Orient sans nuit, sans ses mille et une nuits ; cru de lumière blafarde ; sale d’hommes en guenilles, avec des fusils et des cuirasses. Etrangers absolus. Errants dans leurs propres terres.

Partir en pleine nuit, quand on ne peut pas encore revenir en arrière ; quand la vérité du ventre n’est pas entravée par le grincement des neurones, quand les vagues ronflantes du ventre déferlent et que le corps entier monte sur leur dos, comme ce cheval blanc ailé. Partir avec les mythes. Dépasser les petites mites, miteux rongeurs de la terre natale. Mystique, oui, tu es mystique. Moustique aux longues jambes. Va te piquer à la bibliothèque du monde. Les livres ne sont pas que pour les meubles. Les livres sont pour la vie. Si tu as tant lu, ce n’est pas seulement pour rêver, c’est pour voyager. 

Billet lu par Nicole Hamouche.
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Commentaires

Saoussan El Hajj
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Poignant, vrai.