Je ne suis pas une gestionnaire

Article : Je ne suis pas une gestionnaire
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26 juin 2021

Je ne suis pas une gestionnaire

J’ai fui la gestion ; j’ai fui la banque pour ne pas passer mon temps à gérer des taux de rentabilité, des pourcentages, des virgules et des chiffres après la virgule. Je me suis retrouvée a gérer des heures  à la station d’essence, à la banque, au garage. Passionnant…. Respire, respire. Même mon oxygène s’est épuisé. Je n’aspire pas à la gestion.   On a mieux à faire de sa vie que de consumer ses journées à la station d’essence, en voiture sous un soleil de plomb, dans la cohue, ou à la banque

Gérer le « fresh » du chèque, du libanais ; ce vocable de fresh, comme il ne va pas à l’effondrement, à   la corruption  dont il est le produit. « fresh » en ce sens que c’est du neuf, que c’est le fruit du travail ; mais de travail, il n’y a point. Tous ceux qui peuvent travailler s’en vont. Restent ceux qui surfent sur la vague ONG, cette économie de pays sous-développés ; n’ayons pas peur des mots. Nous ne sommes plus un pays en développement  selon l’acception commune mais bien un pays sous développé. L’économie de la pitié n’est pas une économie du empowerment , ce que Jeanine Safa partie il y a peu avait créé avec l’IRAP était une histoire d’avant-garde et d’insertion sociale. L’IRAP avait été créé avec le soutien du Président de la République d’alors Charles Helou. Que soutient le Président de la République d’aujourd’hui ou ses ministres ? Quels projets ?

A chaque rond-point de Beyrouth, Est, Ouest ; à chaque lieu présumé rassembler, chez Paul  à Jounieh, sur l’autoroute ; à la station d’essence après Paul, au rond-point Adlieh, sur la rue de Damas à Forn el Chebbak, au rond-point Sodeco, les mendiants, femmes, enfants ; ou des jeunes et moins jeunes hommes allongés de leur long sur la corniche, à Tabaris, à Hamra… Beyrouth est méconnaissable. On veut donner ; on  ne sait plus  à qui donner et comment. Et comment donner quand on ne sait plus soi-même de quoi demain est fait. Quand on rationne soi-même les achats de nourriture de base : plus d’achat de lait, plus de fromage, plus de chocolat, plus de miel, etc, plus de ceci,  plus de cela… Bientôt la malnutrition engendrera une baisse d’immunité,  des maladies, qu’il sera impossible de soigner. On paie les assurances des milliers de dollars, pour se voir refuser des couvertures sous prétexte de dévaluation, le contrat d’assurance ne stipulant pourtant rien du genre. Allez les poursuivre ; comme pour la poursuite des banques usurpatrices. Et quand l’assurance refuse de couvrir, les hôpitaux refusent les patients comme cette enfant, décédée faute de soins parce qu’aucun hôpital n’a accepte  de l’accueillir. La mère crie sa rage sur les réseaux sociaux. Mais encore? Et quand l’hôpital accepte un patient, c’est parfois encore l’anesthésie ou autres produits nécessaires aux chirurgies et aux soins qui manquent, mettant en danger la vie de nombre de patients. Il est dangereux de tomber malade ces jours-ci au Liban.

La plus grande des maladies cependant, est le sentiment d’impuissance qui semble se répandre vite comme le corona virus  Sentiment  qui génère la honte, l’impuissance qui empêche de rêver, de se projeter or « le temps humain est le temps du projet » comme le dit Bergson. Le sentiment d’impuissance que la pauvreté laisse sourdre, abolit ce temps-là. La pauvreté est une ligne de démarcation: celle qui  sépare des autres, celle qui fait que l’on se retranche dans son propre monde car on n’est plus comme les autres, qu’on ne peut pas partager quoique ce soit avec eux : on ne peut plus aller au café avec eux, aller au restaurant avec eux, au cinéma, les inviter chez soi et les honorer… Empêché de vivre en adéquation avec ses propres valeurs, empêché d’être soi. Et quand on ne peut plus être soi, on est impuissant…

Le sentiment d’impuissance enleve l’envie de vivre : au pays de la joie de vivre, un des talks show télévisé les plus suivis s’est franchement intéressé – une premiere ; la crise aura peut-etre au moins ce bénéfice d’avoir levé les tabous – il y a quelques jours à la question du suicide  et a promu la hotline de l’association Embrace qui a signalé combien le nombre d’ appels qu’ils reçoivent a augmenté. La directrice de l’association a insisté sur une chose surtout : la solidarité, le soin, l’attention. « Même si chacun est pris par sa vie, nous devons être là au final  les uns pour les autres. » Ce qui n’est pas forcement le cas de cette économie de la corruption qui s’infiltre également partout avec la crise; les charognes ont des silhouettes d’hommes aussi, pas que des politiques. La directrice d’Embrace, elle, a tout compris : seule cette proximité permettrait de triompher de ce passage à vide et de la violence. Embrace, le nom de l’association porterait en lui une grande partie de la solution.

Credit Photo: Ghada Jabak

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Commentaires

Youmna Zein
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Magnifique!!!!
Embrace…. Un mot qui respire… Et inspire à la fois les bras ouverts et le cœur ouvert…
Ça sera le mot du jour.
Merci Nicole pour ces mots qui portent