Combattants de la lumière

Article : Combattants de la lumière
Crédit: Maher Attar avec son accord pour publication
23 décembre 2022

Combattants de la lumière

Je sors de Gemmayzé d’un rendez-vous dans une de ces magnifiques demeures anciennes. Les femmes qui y vivent et y travaillent sont à l’abri du monde là-dedans. Ça joue, le lieu, tout de même. Je tombe en marchant dans la rue sur des photos qui attirent mon regard, noir et blanc. J’entre quelques minutes pour respirer un peu de beauté, d’espace avant de retrouver le sinistre grand hôpital où mon père est si mal soigné et où je suis déchirée par mon impuissance face au système. Maher Attar, le propriétaire des lieux, ne sait rien de ce que je porte quand j’entre. Il me parle de lumière et de blancheur qu’il cherche à mettre en avant. Il y a un peu de noir ; il y a les deux mais pour lui la photo, c’est peindre avec la lumière. Ses mots me portent. Il ne le sait pas.

Ce travail qu’il expose est le fruit du confinement; d’un confinement dans la nature, des photos de nature et d’espace ; sans doute le meilleur des confinements. Dans la neige et les arbres nus, dans la roche, dans les ruines anciennes romaines que je n’ai jamais vues, dans la terre de mon pays. Maher Attar, longtemps reporter de guerre, a choisi son combat d’après-guerre, celui de la lumière. Il est marqué sur le mur, « accepting what is and rising above it » comme une épitaphe qui enterre la violence et le ressentiment. Après une longue carrière de photo reporter en France et à travers le monde et de portraitiste, le photographe vient se reposer après des années au pays du Cèdre. Paradoxalement, c’est son épouse d’alors, française, qui l’y pousse. Il vit entre Paris et Beyrouth et puis l’appel du Liban se fait plus pressant. Il y retourne quand tout le monde s’en va ; il y cherche la lumière quand tout le monde ne pointe que le noir. Il choisit de commencer quand tout le monde termine.

Un jour post 4 Août, où il déambule dans Gemmayzé détruite, une ruine capte son regard ; c’est ce qu’il lui faut, c’est cela, c’est l’endroit rêvé. Les voisins lui donnent le numéro du propriétaire. Il loue la ruine et la réhabilite. En quelques mois, Art District est lancé, pour s’exposer lui-même mais aussi de jeunes photographes montants. Il a parsemé le sol de la galerie de citations. L’espace sera un lieu rencontres pour qui veut rencontrer l’autre. Un an plus tard, il semble en être ainsi. Je vais chez Maher souvent quand il y a des vernissages ou pas, quand je passe dans le quartier, comme un recueillement dans un antre de lumière, même dans la foule. L’épitaphe « accepting what is and rising above it » n’est plus ; ni mon père bien-aimé… Mais l’épitaphe m’est restée. Alors, je conte pour conjurer la violence, pour laisser filtrer la lumière ; je conte pour ne pas faire le décompte. Après tout, Noël est bien le temps de la magie du conte.

J’ai pris note de mille petits contes au quotidien cette année pour survivre ; la générosité du poissonnier, du camionneur, des nageurs, de la kiosquière, des nouvelles rencontres ; ces mille et un petits gestes des hommes et des femmes de mon pays. La générosité comme un pied de nez à l’écrasement. Je prends le parti de les raconter ; pour ne pas oublier ceci aussi, pour ne pas parler que des banquiers et de leurs méfaits, des hospitaliers inhospitaliers ou des voyants – c’est-à-dire des dirigeants – aveugles. Joyeux Noël.

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