J’imagine

Article : J’imagine
Crédit: Nicole Hamouche
25 avril 2022

J’imagine

J’imagine, à la veille des élections, des grands écrans partout qui auront remplacé en une nuit les nombreux portraits et slogans à deux sous, accrochés sur tous les poteaux et dans tous les coins du pays, même les plus reculés. J’imagine des grands écrans qui diffusent les images de Thawra Saoul de Philippe Aractingi, de Beirut, the Aftermath de Fadia Ahmad, de Capharnaum de Nadine Labaki… Des films qui en disent long sur la vie et les desiderata des Libanais, au lieu de la cacophonie des discours électoraux, le plus souvent – même si pas toujours – les mêmes. Le plus souvent des slogans, faciles, qui ont pour seule fonction d’exciter les esprits et surtout de parer à l’absence de programmes réels.

J’imagine ces images fluides, emportées, colorées, qui disent de manière autrement plus puissante que le babil politique et la surenchère creuse, notre réalité, et qui peuvent mieux orienter notre discernement. Je les imagine qui diffusent en continu ou presque, interpeller les passants, électeurs potentiels, pressés ou hébétés par ces années de violence, de mépris et d’écrasement. Peut-être faudrait-il mettre des chaises pour nous inviter à nous poser , à prendre le temps de regarder, d’absorber, d’encaisser et d’intégrer avec nos propres yeux, nos propres sens, tout ce que nous avons vécu, enduré, mais aussi créé ; tout ce que nous avons pu imaginer à un moment. C’est-à-dire au-delà de l’abus et de la violence inouïs subis, cette force de vie, ce soulèvement incroyable qui se sont manifesté dans la Révolution d’Octobre. Si frappants, si évidents quand on voit les images de Thaoura Soul. C’était hier. Et c’est comme si c’était une autre vie.

C’est la montée de la «kundalini» comme il le dit, qu’a voulu montrer Philippe Aractingi, le réveil de la «kundalini», cette fameuse énergie qui monte de la base du corps, depuis l’assise, le siège de la créativité en spirale vers le haut pour jaillir et épouser le mouvement de la vie. Ce flux jailli dans la révolution d’Octobre avait quelque chose d’un tsunami. Peut-être fallait-il lui donner un nom de ce genre, « la révolution tsunami » ou « la révolution kundalini » plutôt que de la dater d’une saison d’automne. Les mots ont leur pesant. La révolution survint en automne ; elle était cependant abondante. La révolution d’Octobre n’est pas que d’Octobre ; « elle s’appelle (plutôt) révolution permanente ». Elle est de février, de mars, de 2005, de Cèdre, une révolution millionnaire  de citoyens sur la place.

Aussi, sur ces écrans géants qui auraient investi le pays, dans une nuit sans lumière – comme toutes les nuits actuelles du Liban – et où l’on aurait profité de l’obscurité pour décrocher toutes les affiches et autres banderoles, des images d’archives de la Révolution du Cèdre – il n’y a pas encore eu de films –  seraient projetées aux côtés de celles des documentaires de Thawra Saoul et de Beirut, the aftermath*… Peut-être était-ce d’ailleurs que celle-ci  fut tellement mythique, pleinement vécue – et avant l’explosion des réseaux sociaux – qu’il n’avait pas été besoin de la styliser, de la transmuer en art.

Au lieu des meetings électoraux classiques et des campagnes à l’ancienne qui tablent sur l’amnésie générale, j’imagine les nouveaux candidats, projeter ces films, oser utiliser l’art et la culture comme arme de séduction et de mémoire, plutôt que celle bien peu gratifiante du slogan. Se baser sur l’empowerment  que procure cette arme plutôt que de jouer à faire monter la peur. C’est cheap d’utiliser la peur pour se positionner ; c’est bien plus passionnant de chercher à réveiller le pouvoir des uns et des autres, les  forces vives. Si Thawra soul peut paraitre terriblement romantique, l’histoire d’un ravissement qui s’est soldé par une désertion lasse, il est aussi le rappel du pouvoir des hommes réunis ensemble et de leur force de conviction. « L’opinion est toujours soumise à la psychose de masse. La conviction grandit à partir de l’expérience, elle se nourrit de l’éducation, elle reste personnelle et irréductible aux évènements » écrivait Zweig. .

Ainsi, ce sont des citoyens convaincus qui se sont rendu à l’Institut Français pour voter pour les élections françaises. Ce rendez-vous est aussi pour nombre de bi-nationaux l’occasion de se retrouver. Il y avait quelque chose de la joie dans cette enclave française, la joie de l’exercice démocratique et des retrouvailles dans un noble but. Cet enthousiasme sera-t-il pareil lors des élections législatives libanaises du mois de mai ? N’oublions surtout pas que le droit de vote n’est pas un acquit, il  a été gagné  de main forte. Rien n’est acquis ; la vie au Liban nous le rappelle suffisamment tous les jours. Alors, honorons ce droit en l’exerçant car si on venait à perdre cette occasion, que dirions- nous ?*Beirut, the aftermath, un document

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