Tahaddi relève le défi de l’éducation et du vivre ensemble

Article : Tahaddi relève le défi de l’éducation et du vivre ensemble
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2 février 2019

Tahaddi relève le défi de l’éducation et du vivre ensemble

Le centre d’éducation non formelle dans le quartier pauvre de Hay el Gharbé  de la banlieue sud de Beyrouth, qui œuvre depuis plus de dix ans sur le terrain est un modèle d’engagement, de solidarité et de possibles mais aussi un microcosme de la misère et du dénuement qui hantent notre société.

Dans le centre d’éducation  non formelle Tahaddi, les enfants préparent la fête de Noel et de fin d’année sur les toits, aménagés en aire de recréation. Ils défilent un par un en disant de courtes phrases qui disent tout: « nous voulons vivre en paix, nous sommes tous égaux, nous avons  droit à une enfance, à une identité, à l’éducation…nous vous souhaitons une bonne année 2019». Des éducatrices bienveillantes et patientes veillent sur leur tenue sur scène et sur leur élocution ; elles ne sont pas forcément complaisantes. Garçons et filles sont mélangés, syriens, libanais et Doms –  des Libanais d’origine gitane– chantent ensemble, jouent ensemble, étudient ensemble.

Parce que c’est dans l’enfance que tout commence, Catherine Mourtada, la co-fondatrice de Tahaddi et son équipe, ont choisi depuis dix ans de semer des graines d’éducation dans ces enfants qui auraient été autrement, les laissés pour compte d’une conjoncture et d’un système. Au lendemain de la guerre, Catherine Mourtada, suissesse, de père syrien, vient enseigner le français, à Notre Dame de la Paix à Dora mais  découvre aussi la misère du quartier de Hay el Gharbé, où résident de nombreux  Doms  – des gitans, naturalisés pour beaucoup d’entre eux dans les années 1992-1994 – et Libanais  à quelques mètres du rond-point de Cola et de la Cité Sportive. Avec une amie française médecin, le Dr. Agnès Sanders, elles arpentent les ruelles du quartier et prodiguent des soins de base à ceux qui en ont besoin. Elles y viennent une fois par semaine, et boivent souvent le café avec les habitants ; un lien se crée. Elles constatent à l’époque, que beaucoup d’enfants souffrent  d’infections aux yeux et au-delà de ce problème spécifique, combien cette population a difficilement accès difficile aux soins médicaux et à l’éducation, notamment pour les Doms, souvent  « rejetés » selon Catherine Mourtada, du fait de leurs origines. Les deux femmes, avec un groupe d’amis,Celle-ci, avec un groupe d’amis et Agnes XXX, la toubib, se mobilisent pour collecter 100 USD/enfant dans le but de les scolariser dans l’école publique.

Elles louent par la suite un deux pièces dans le quartier pour accueillir une quinzaine d’enfants âgés de 8 ans et plus et n’étant jamais allés  à l’école. Elles fondent quelques années plus tard, en 2008, l’ONG Tahaddi qui devient un centre d’éducation non formelle.

Le centre reçoit des enfants dans le cadre d’un programme préscolaire de trois ans avec le but de les insérer  dans l’école publique. Il accueille également ceux qui n’ont pas pu être admis à l’école publique, à cause de certaines difficultés, de manque de place ou de leur âge, l’école publique ayant aussi certains critères d’admission : à partir de huit ans, l’enfant n’y est plus admis, par exemple, s’il n’a pas été scolarisé au préalable, sachant aussi que l’école n’est pas obligatoire avant l’âge de six ans. Ainsi, «ceux qui ont huit ans et plus seraient condamnés à l’illettrisme » dit Mme Mourtada qui cherche justement à lever cette fatalité, de même qu’à augmenter les chances de réussite de ceux qui sont déjà à l’école publique en  fournissant à plus de 100 enfants un soutien pour les devoirs. Le programme de Tahaddi suit le curriculum libanais mais est adapté aux besoins émotionnels et cognitifs de ces enfants

 

L’ONG reçoit les élèves pendant un maximum de sept ans puis ceux qui le désirent sont placés avec l’aide de l’assistante sociale du centre dans des organismes comme Dar el Chabab, Moujad, le Mouvement Social ou  dans les formations offertes par le Ministère des Affaires sociales. Certains font des stages de pâtisserie, de pharmacie ou autre dans des établissements de renom comme la pharmacie Mazen ou  T -Square Pâtisserie à Sodeco. Le centre  offre aussi des cours d’informatique d’art plastique, de chant, de théâtre. Un atelier de couture  permet aux femmes de vendre leur travail au travers de marchés solidaires. Depuis deux ans, ces femmes cousent des centaines de couvertures, distribuées dans les camps de réfugiés de la Bekaa.

A côté de l’éducation, le centre propose des services de soutien psycho-social à une population qui en a bien besoin, vu l’état d’insalubrité, de promiscuité et de dénuement dans lequel elle survit. Deux psychologues,  cinq assistantes sociales, deux orthophonistes, une psychomotricienne collaborent à Tahaddi, qui reçoit également des enfants à besoins spéciaux intégrés dans les classes de son centre éducatif. Un centre médical  dirigé par un médecin libanais et qui accueille des  résidents de l’AUBMC,  fournit gratuitement des soins de base et les vaccins nécessaires aux enfants.

Dans ce  contexte d’extrême pauvreté, la drogue et  la petite délinquance sont fréquentes parmi les adolescents, ainsi que le mariage précoce des jeunes filles. Tahaddi cherche à relever les défis de la pauvreté et des préjudices en soustrayant les enfants à la rue et en accueillant des familles et employant des personnes sans distinction de religion, de nationalité ou d’arrière- plan social. Une quarantaine d’employés venus de différents coins du pays, collaborent aux activités du centre. Le centre accueille actuellement près de 400 enfants dans ses différents programmes éducatifs. « Une des particularités de ce centre est qu’il reçoit  de façon égale Syriens (52%) et Libanais (48%) qui étudient et jouent ensemble sans problème » explique Catherine Mortada, sachant que Libanais et Syriens ne vont par exemple pas aux mêmes heures à l’école publique, les capacités d’accueil des salles de classe des établissements étant limitées.

Ainsi, les soutiens de ce centre, modèle de mixité et d’ouverture, sont – ils nombreux : la Principauté de Monaco et  Les Apprentis d’Auteuil ; la Coopération Suisse, celle du Liechtenstein, la LSESD : Lebanese Society for Education and Social Development et la coopération française  sont les principaux donateurs institutionnels. Des particuliers, libanais et autres ,  contribuent également financièrement mais aussi en nature, donnant des habits, des jouets et du temps. « L’équipe de Tahaddi est motivée parce qu’elle voit que donner accès à l’éducation ou à la santé physique ou mentale, fait une différence même si la vie reste très difficile pour les familles de Hay el Gharbé » dit la directrice du centre, qui avec son équipe, a « constamment de nouveaux projets pour l’ONG » . « Depuis que nous avons commencé, nous voyons les l’impact sur la population ; nous cherchons à ce que les gens ne soient pas dépendants  de notre aide mais puissent vivre dans la dignité et le respect ». L’équipe mène son combat avec enthousiasme : « le jour où ça sera lourd pour moi, j’arrêterai » confie Catherine Mortada, qui entraine par son enthousiasme, dans la foulée, de nombreux bénévoles, collaborateurs et contributeurs.

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