Lendemain de fête

17 mai 2018

Lendemain de fête

Le mot « élections » me renvoie à la terminologie d’origine: élire, l’élu. Élection, le mot dans sa finesse n’est pas forcément quelque chose de massif, de populaire; plutôt une question de courants, d’affinités électives.

Le dimanche 6 mai, à vélo dans le Metn, je traverse de nombreux villages, de coutumes paisibles, silencieux; un ou deux vieux sur le perron, un chat qui ronronne ou un chien attaché qui aboie. Ces mêmes villages avaient pris une allure de kermesse, de rassemblements et dans ceux plus grands comme celui de Mrouj, vibrant et accueillant ce jour-là, les élections sont l’occasion d’une fête. Orange, blanc, vert, etc, elles sont cote à cote, toutes les couleurs. Ça n’est pas une pub pour Benetton, mais presque une pub pour le Liban. Cette ambiance multicolore bon enfant et sur fond de musique met un sourire dans ma tête. Des gens, tous âges confondus qui se saluent, se pressent pour aller aux urnes, avant de se retrouver pour une manouché ou un mezzé dans les bons et chaleureux bouis-bouis de la place. Lorsque je passe à vélo, on me hèle en français avec un sourire : “Tu as voté?” Je ne sais pas pourquoi avec le vélo, il y a présomption de langue étrangère. Je leur signale que oui, depuis tôt le matin.

Depuis tôt le matin, de nombreuses personnes ont pris la route, parfois seules, parfois en pan familiaux entiers, pour retrouver au Sud, à Tripoli à Ehden, etc. La montagne, la côte, dans leurs replis et remous. Certains y ont saisi l’opportunité de faire un long week-end. L’exercice du droit de vote s’est avéré l’occasion de retrouvailles en famille; l’occasion de retrouvailles dans et avec les terres d’origine. Le 6 mai avait quelque chose de festif…

Elections Mrouj Liban

Et le lendemain, la gueule de bois. Pas de femmes à l’Assemblée, pas de jeunes, pas de membres de la société civile ou très peu. Le lendemain on comprend qu’on a été leurré, par l’ivresse. Que l’autre s’est joué de nous – en nous donnant un semblant de choix – juste pour renforcer sa position, pour se faire mousser. Malgré ça, on n’arrive pas à avoir la haine. On est juste triste et on s’en va. On tourne les pas. Et encore une fois on cherche à placer son attention ailleurs. Et on essaie malgré tout de se dire que ce moment étincelle n’était pas un feu de paille; qu’il a allumé ou rallumé quelque chose en soi, le désir, l’envie de participer, de jouer. Qu’il nous a fait prendre conscience que l’enfant en soi n’est pas mort, et qu’il prend la balle au vent… Et que rien que pour ceci, ce moment avait du sens. C’est peut-être palliatif comme l’aspirine après la gueule de bois; en tous cas, ça aide à ne pas coaguler… en dépit de la déception.

Quelques jours plus tard, dans le souk de Byblos, j’achetais une galette au fromage dans un petit resto/bar qui vient d’ouvrir. Pendant que j’attends la galette qui chauffe, le jeune homme derrière le comptoir capte des bribes d’un semblant de conversation téléphonique que j’essaie d’avoir avec une autrichienne qui ne parle pas l’anglais. Il me raconte qu’il apprend lui-même l’allemand et qu’il s’en va poursuivre son master d’ingénierie en Autriche – 5 000 EUR de frais, bien moins que la fac au Liban – et qu’il travaille au resto pour payer sa scolarité. Nous, les Méditerranéens au sang chaud finissons par partir en ce moment, en Allemagne, en Autriche; même les jeunes… Prise par la conversation et ses rêves d’espace et de possibles, en résonance avec les miens, j’ai oublié de lui demander s’il avait voté. J’en étais curieuse. Il me tend la main, se présente “Mahmoud”. Il ne veut pas prendre le prix de la galette; il veut me l’offrir à tout prix, “pour l’amitié”, me dit-il. Il me raconte qu’il attend la réponse de l’université en juillet; moi aussi, pour un départ autre, avec nos vingt années qui nous séparent.

Voilà pourquoi je n’avais pas envie de repartir du pays, voilà pourquoi je suis revenue, pour ces affinités électives; voilà pourquoi j’ai voulu voter. Peut-être que j’étais ivre; pourtant sans alcool. La même semaine post–électorale, j’assiste au Café des Lettres à une rencontre avec une auteure japonaise en résidence d’écrivain à Beyrouth. Son propos est autour de l’expression dans différentes langues, des mots justes et de ceux qui nous manquent. J’apprends les mots « yuken » et « natsukashii » en japonais, la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter, chacun avec une connotation différente; plus ou moins heureuse, les subtilités d’une culture, « Natsukashii » est la nostalgie comme sentiment heureux de se remémorer les bons moments. En dépit de la gueule de bois je suis « natsukahii » du dimanche 6 mai au matin, des 4 et 5 mai, la veille de ce rendez-vous; je suis « natsukashii » de ces jours où j ‘ai cru.

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