Mireille Maalouf, le théâtre venu de loin

18 février 2018

Mireille Maalouf, le théâtre venu de loin

Son propos est celui des femmes que l’on appelle ‘puissantes’. Même par téléphone, il y a une énergie qui passe, un souffle qui vous prend… Le propre des grands comédiens ? Savoir jouer avec l’énergie ou s’en faire un conduit, pour ceux – humbles – qui disent ‘‘se mettre à disposition de quelque chose de plus grand qu’eux : d’un texte, d’une histoire, d’une transmission…’’. Mireille Maalouf joue avec tout son être, sa vie et le théâtre sont presque confondus ; elle s’y est consacrée, il le lui rend bien. Elle foule les planches des scènes du monde, donne vie à de grands textes et incarne des rôles très divers.

Et même si elle martèle que ‘c’est la vie qui est importante’, elle reconnait aussi combien ‘le théâtre a nourri la sienne, l’a enrichie’. A force de rôles et de continents, le théâtre a ‘rendu son âme très élastique’, comme elle dit. Elle n’a pas peur d’évoquer l’idée d’âme, à une époque où celle-ci n’est pas très à la mode. Cette dame férue de Shakespeare, de son atemporalité, ‘qui trouve qu’avec l’âge elle ressemble de plus en plus à une libanaise’, fait partie de ces comédiennes qui sont justement au-delà des modes, d’une nationalité ou du temps, parce qu’elle est un être, animé, habité ; une femme, avant d’être une comédienne ou une vedette… Le vedettariat n’est pas son moteur, c’est plutôt son instinct qui l’a poussé à quitter le Liban en 1974, en dépit de l’opposition parentale. Elle est partie s’installer en France, par amour du théâtre, et plus particulièrement pour jouer dans la compagnie de Peter Brook, le metteur en scène qui la fascine. En effet, trois ans plus tôt, à Londres, elle avait assisté à une représentation de la pièce, ‘Le Roi Lear’ réalisé par Peter Brook… et décidé qu’elle voulait travailler avec ce metteur en scène. A son arrivée à Paris, le hasard veut que le Théâtre des Bouffes du Nord organise des journées portes ouvertes. C’est à cette occasion que Mireille Maalouf, qui compte déjà six ans de théâtre auprès de Mounir Abou Debs à son actif, prend le courage de s’adresser à Brook. Deux semaines plus tard, celui-ci l’engage dans sa troupe. Ainsi commence l’aventure.

Ibsen, Shakespeare, le Mahabharata, la Conférence des oiseaux ; Paris, Londres, New York, Calcutta, etc. Mireille Maalouf est une jongleuse ; il lui est arrivé de jouer trois pièces à la fois, en français, en anglais et en arabe. De l’acrobatie de haute voltige qui la stimule : ‘‘ceci exige de l’interprète d’être à niveau’’. Le défi, l’apprentissage, l’exploration… L’actrice n’en finit pas de jouer. Elle est restée vingt ans dans la compagnie de Brook, pour rejoindre par la suite celle de sa fille Irina Brook, avec qui elle joue actuellement Peer Gynt d’Ibsen. Mais le Liban ne la quitte pas. Son amour de la langue arabe, notamment classique, et l’exploration de celle-ci dans le théâtre lui font chercher sans cesse de nouveaux moyens de transmettre cette langue, de la rendre accessible au public. Car sa langue maternelle est celle qu’elle affectionne le plus, ‘‘une langue viscérale dans sa sensualité, par opposition au français, une langue qui exige d’aller jusqu’au bout de la pensée’’. Pour la comédienne, l’arabe permet d’‘‘installer l’image dans le silence de l’espace’’. C’est de là, aussi, que vient sa théâtralité.

Bien que l’arabe et l’état d’esprit qu’il véhicule soient ses favoris, elle a choisi de s’installer en France. ‘‘Je vais là ou le travail m’appelle’’ explique-t-elle, ‘‘ j’ai toujours eu la liberté de choix. J’ai toujours fait des choses que j’ai aimées, que j’ai défendues, choisi des personnages qui répondent à une quête de vie.’’

Une liberté de choix et des convictions qu’elle défend par son travail
Elle défend aussi un certain théâtre et n’adhère pas au discours qui veut que l’on serve au public libanais du ‘débilisme, constamment la même sauce’ sous prétexte que c’est ce qu’il veut ou peut appréhender. ‘Tous les publics du monde sont semblables’’, élabore la comédienne. Elle en a fait l’expérience, ‘Il y a des publics plus éduqués dans différents arts, plus aguerris certes. Mais tout est dans la manière de faire passer l’histoire, d’approcher le public. Il s’agit de trouver un style. Le théâtre au Liban doit être populaire – ce qui ne veut pas dire du divertissement – il doit pouvoir faire rire et pleurer, offrir un style simple, raconter des histoires…’. Elle relate à ce propos son expérience libanaise, l’an dernier, avec Julia Domna. Elle jouait une pièce de Shakespeare, en arabe, à l’occasion du 400ème anniversaire du dramaturge britannique dans le cadre du festival Bustan. Avec feu Jalal Khoury et Refaat Torbey, ils tournent avec la pièce dans tout le Liban. L’accueil du public est un cadeau, il apporte la preuve que le théâtre n’est pas réservé à une élite. Au contraire, depuis les Grecs, il est au cœur de la vie de la cité. ‘L’universalité du propos, c’est cela qui touche (…) les histoires…’. ‘S’approcher le plus possible d’une vérité qui puisse toucher le public’, tel est le rôle de l’acteur. Et tel est l’enseignement que Peter Brook a transmis à cette grande comédienne : ‘il m’a appris la recherche, la mise à disposition de l’acteur de tous les moyens pour qu’il progresse pour qu’il s’approche (justement) le plus possible d’une vérité qui puisse toucher le public’. Mais elle rend aussi hommage à Mounir Abou Debs, disparu il y a quelques mois : ‘Il m’a appris la discipline, le travail, l’humilité et tout ce qui nous manque en ce moment au Liban’.

‘L’amour du travail m’a été instillé avec l’Ecole du Théâtre Moderne de Abou Debs, pour avancer dans ce monde tellement difficile qu’est l’art’ continue-t-elle. ‘L’art est un monstre qui nous écrase si on n’est pas honnête, si on ne le sert pas. Je ne sais pas comment on évoque cette idée aux jeunes au Liban qui veulent devenir star d’un coup (…) Mais c’est le processus qui compte pas le résultat. On apprend jusqu’au dernier souffle’.

Apprendre ‘pour rester vivant’’, voilà son ambition. ‘Travailler son corps, sa voix, son imagination, assister aussi à ce que les autres font. Accepter que de nombreuses expériences puissent traverser notre être pour avancer,  il n’y a pas que l’aboutissement qui compte’. Ce n’est pas qu’une leçon de théâtre que donne Mireille Maalouf.

Le 1er mars, dans le cadre du Festival du Bustan, elle participe à une soirée où elle lira, avec Refaat Torbey, des poètes arabes. Et pour le accompagne, de la musique de Bach.

Le Liban appelle de plus en plus Mireille Maalouf, et celle-ci lui répond : elle a envie de transmettre ici, de travailler avec les jeunes.‘J’aimerais jouer plus au Liban, explique-t-elle. Partager des choses avec mes amis ici, pouvoir m’impliquer plus dans une sorte de travail approfondi qui peut intéresser notre pays, développer des ateliers, quelque chose de consistant…’. Entre temps, elle loue le courage de ceux qui continuent à travailler dans la profession (‘c’est formidable’, s’exclame-t-elle), et savoure ‘les rochers et la beauté de la montagne du Liban’ . Car elle y revient, et trouve à se ressourcer de temps à autre en retournant dans son village natal, Kfar Aqab.

Étiquettes
Partagez

Commentaires