Plein feu de Zena el Khalil sur notre mémoire

11 octobre 2017

Plein feu de Zena el Khalil sur notre mémoire

Des éclats de noir, de gris, d’écaille, de blanc, dans tous les sens. On dirait des peaux de crocodile, de l’écaille de serpent ; peau de cendre. C’est la keffieh qui est utilisée comme support, pour son motif esthétique, quasi méditatif, et pour ce  qu’elle symbolise sur le plan humain et universel.  Des toiles géantes ; on dirait des mandalas autres, venus d’ailleurs. Du fonds de la mémoire de Zena, du fonds d’une mémoire ancestrale ; d’intérieurs qui explosent dans tous les sens du terme. Des feux transmuant. C’est avec  cet élément, le feu,  qu’elle travaille d’ailleurs puisque ses encres, spécifiques à chaque site proviennent des cendres de ce qu’elle a trouvé sur place et brulé. Le thème de cette exposition commissionnée par la Fondation Merz et par Liban Art, qui investit pendant quarante jours Beit Beyrouth, Musée de la Mémoire,  est la guérison, la réconciliation et la transmutation; le feu étant l’agent de transformation par excellence.

L’artiste qui a vécu de par le monde : Lagos, New York, Londres, etc est habitée par l’histoire de cette terre, la notre, et au-delà par le lien qui nous lie les uns aux autres, qu’elle cherche à apurer par son art. Par une énergie que l’on pourrait qualifier de mystique dont elle se dit le simple agent.  Le processus à l’ origine des œuvres exposées en atteste.  Zena El Khalil,  qu’un long cheminement a mené plus d’une fois en Inde et qui s’est penchée sur les énergies, le reiki, le yoga du son, la méditation  en a infusé son travail. Elle a choisi de débarrasser certains lieux de notre histoire et de la sienne de l’énergie négative qui les charge, offrant ainsi une nouvelle plateforme de rencontre pour la paix et la réconciliation. Il faut noter que la Municipalité de Beyrouth a accepté d’offrir l’espace officiellement pas ouvert, à l’artiste qui y voyait le lieu d’accueil le mieux adapté pour son travail.

Zena el Khalil a travaillé sur des lieux symboliques, abandonnés pour la plupart ou stagnants, comme la prison de Khiam, Souk el Gharb, l’ancienne ambassade des Etats-Unis à Ain el Mreisseh,le Grand Hotel de Sofar, etc. Apres une cérémonie de guérison qu’elle conduit seule sur le lieu, incluant méditation, incinération, tournoiements à la derviches, elle donne sur place les coups de pinceaux avec la peinture faite des cendres du lieu-même. L’œuvre est produite sur place. Elle retourne sur les lieux plus d’une fois si nécessaire pour achever le processus: elle se rendra ainsi à Khiam un nombre incalculable de fois. Elle engage ce travail en 2013, commençant par les maisons familiales de son père à Hasbaya dans le Sud et de sa mère à Aley, toutes deux abandonnées, grevées par un passé de guerre, d’expulsions et d’exactions et continue son périple dans les lieux de mémoire collective. Et si la keffieh palestinienne est un des matériaux de prédilection c’est aussi pour rappeler la nécessité d’adresser les causes et  de revenir à l’essentiel ; l’état actuel du Moyen Orient remontant au conflit israélo-palestinien que  l’on a oublié en cours d’évènements,  signale l’artiste.

Sans être activiste ou quelque «iste» qui soit comme elle le dit, Zena el Khalil est engagée dans son temps et dans son lieu – « Je crée mon propre vocabulaire avec les matériaux, avec ce qui m’entoure. J’essaie d’être vraie; vraie à ce que je suis et  à ou je suis ; ce qui veut dire dessiner à partir de mon propre environnement ». L’artiste qui travaille depuis une vingtaine d’années rappelle dans ce sens aussi que l’art contemporain au Liban et dans le monde arabe est encore relativement très jeune – une cinquantaine d’années – et qu’il appartient aux artistes de la région d’inventer leur propre langage, ce qu’elle fait.  Si elle est intéressée «bien évidemment»  par cette partie du monde; elle est à ce stade plus interpellée par l’universel que par l’identité ; «par les cycles de vie; ce quelque chose qui continue à se transformer ; le cycle continu de la vie et de l’énergie».

C’est  dans cette perspective qu’elle a aussi composé dans des lieux d’énergie positive pour guérir les lieux blessés comme les nôtres : sur le plus haut temple de Shiva au monde, à Tungerath en Inde ; sur les bords du Gange utilisant l’eau du fleuve pour faire son encre, dans l’ashram de Maharichi Mahesh à  Rishikesh ou les Beatles avaient séjourné en 1968. Les thématiques abordées par l’artiste ont évolué, en parallèle de son propre cheminement et de ses pérégrinations : les œuvres de la  première décennie adressaient directement la guerre et la société consumériste capitaliste, la première étant un  produit de la deuxième selon l’artiste, qui utilisait d’ailleurs la aussi un  matériau qui représentait le message lui-même, à savoir le plastic et le pétrole.  Zena el Khalil passe maintenant de la dénonciation à la proposition : «j’ai passé dix ans à dire voila ce qui se passe ; maintenant, c’est  plus comment  on avance ?  Nous sommes informés ; comment on avance ? J’ai moi-même évolué de la carte individuelle à la carte collective. » 

Dans ce même esprit d’embrasser le tout, l’artiste guérisseuse a choisi d’engager le public dans l’expérience s’il le souhaite ; il ne sera pas que spectateur. Durant les quarante jours de l’exposition, une station de peinture de mantras permanente, des ateliers de yoga, de reiki, de méditation du son, etc ainsi que trois soirées poésie autour du thème de la paix et de la réconciliation. La station de peinture de mantras est le prolongement d’un projet d’envergure globale que Zena a monte : les mantras s’articulent autour de mawadda (tendresse), ghefran (pardon), rahma (miséricorde), salam (paix). L’artiste fera au public tous les jours à 17h,  la grâce de sa musique et de rituels de purifications/guérison. Tout un chacun est invité à participer. Son travail avec le son s’insèrera aussi dans une installation dédiée aux 17 000 disparus déclarés : 17 000 lignes vertes, une pour chaque personne qui remplira le deuxième étage de cette bâtisse situe précisément sur l’ancienne ligne verte, ainsi dénommée parce qu’envahie par les herbes folles du temps ou elle scindait la ville en deux. Un morceau de musique de sa propre composition, fait de sons rapportés des différents lieux de travail, reliera l’expérience de cette exposition.

L’art peut clairement être un outil de transformation, de paix et de réconciliation, avec soi et avec le monde, comme le dit Zena el Khalil dans l’un de ses Ted Talk  – elle fait partie du club très exclusif  des 400 Ted Fellows, triés sur le volet à travers le monde. C’est pourquoi elle fait les ateliers pour que le public, non seulement voie mais aussi participe, ressente… Par l’expérience de l’émotion, de la beauté, «par les processus créatifs, les résidus d’énergie négative sont transformés en lumière et en amour» dit l’artiste ouverte à ceux-ci.

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